Une fête du cochon, une exposition et une conférence

Ce dimanche 5 février 2023, après deux ans d’interruption, Bourg-en-Bresse a renoué avec une de ses fêtes inspirées par une tradition hivernale, la Fête du Cochon, c’est-à-dire l’abattage du porc familial, appelée aussi la Saint-Cochon.

L’abattage du porc familial était un moment fort de la vie campagnarde. Nous le déclinons en deux textes, d’abord par un texte d’Alexandre Sirand, publié dans l’Almanach bressan, de 1859, que conserve la Médiathèque É. & R. Vailland de Bourg-en-Bresse. Ce texte en patois nous est retranscrit et traduit par François Dauvergne, de l’association Mémoire de Cras nous a retranscrit et traduit le texte d’Alexandre Sirand.
Ensuite nous publions Le repas de cochon de Denis Bressan, publié en 1904 dans le Courrier de l’Ain, en 1904.
Ce site a déjà publié des chroniques à propos d’Alexandre Sirand et du porc en Bresse. Les liens sont indiqués à l’issue de cette première partie des Actualités.

PREQUA LEUS CAYONS N’INGRESSONT PÔ

POURQUOI LES COCHONS N’ENGRAISSENT PAS

Z-éfins, quimbin vous ne veli pô crare leus mansus de la vella, in vetia pretint yon que vò vous parlô. Vous lou couniàtes zia, men arma, i ne vous a pô trampo tin que voure ; aquetoz va cin qu’i va vous dere ; v’tia :
Veutrés cayons, que t-eu que vous leusy bailoz ? Z’eu sais prò, on baille ce qu’on peut ! Y-e prò va, mais vous ne saites pô prò faire ; vequia tout.
Mes enfants, même si vous ne voulez pas croire les messieurs de la ville, en voilà pourtant un qui veut vous parler. Vous le connaissez déjà, par mon âme, il ne vous a pas trompés jusqu’ici ; écoutez donc ce qu’il va vous dire ; voici :
Vos cochons, qu’est-ce que vous leur donnez ? Je le sais bien, on donne ce qu’on peut ! C’est bien vrai, mais vous ne savez pas bien faire ; voilà tout.

Vous leusy pourtoz de grinds seillards d’aiguie, méchlio avoué de laitia, de poumes verdes, de rôves, de catrouchlies, v’tia lou mô. Vous mouilloz troup, et quimbin à de cò vous betoz de farena et de reprin, y in a se peu, que leus cayons sint eublezias d’avalo l’aiguie per ava lou restou : api vous crates qu’i bavont prequa l-int greu sa ; i ne pô va. Vous leus conchlioz troup, i preniont lou flu de vintre, é ne crêissont po in vianda.
Vous leur portez de grands seaux d’eau, mêlée avec du petit-lait, des pommes vertes, des raves, des pommes de terre, voilà le mal. Vous mouillez trop, et même si parfois vous mettez de la farine et du son, il y en a si peu, que les cochons sont obligés d’avaler l’eau pour avoir le reste : et vous croyez qu’ils boivent parce qu’ils ont très soif ; ce n’est pas vrai. Vous les gonflez trop, ils prennent le flux de ventre, et ils ne croissent pas en viande.

Vous n’â donc jamais remarquo que le béties ne bavont qu’à yò sâ ! Aquetoz va na râson ; on medecin de bêties desse à na fremire : vous vâtes ben que vous moulioz troup lou minzia de veutrés cayons ; yeus vintros trin-nont bô ; i n’int rin su le queutes ; essayoz va de bettre lou bare d’on chlian et la pedance de l’autrou.
Vous n’avez donc jamais remarqué que les bêtes ne boivent qu’à leur soif ! Écoutez donc un conseil ; un vétérinaire [1] dit à une fermière : « Vous voyez bien que vous mouillez trop la nourriture de vos cochons ; leur ventre traîne par terre ; ils n’ont rien sur le dos ; essayez donc de mettre la boisson d’un côté et la nourriture de l’autre. »

La bourna a bin hasardo lou cò. Quind lou mansu revinsi, le li creyôve désindé : « Ah ! mansu, que z’èra fôla, la farena que z’ai bailla à meus cayons n’ére rin mouilla, et pretint i ne demindôvont rin à bâre ; men arma, ze vayou ben que ze leusi pourtôve troup d’aiguie. »
Guétiô va ce qu’é yi-e, dapi cheu moumint seu cayons int teurs ingréchia radou. Cella fen-na ave greu d’aimou ; l’a pi recouniò de n-otrou chlian que tin mé on baille à le bétie de quôque nachion qu’é saye, d’harba, de catrouchlies, de rôves couétes, tin mé l-ingrechont vitou.
Vetia prequa cé que ne leusi baillont rin que de marchiendie creva api greu d’aiguie, i fint tout lou contraire.

La rustaude [2] a hasardé le coup. Quand le monsieur revint, elle lui cria sur le champ : « Ah ! monsieur, que j’étais folle, la farine que j’ai donnée à mes cochons n’était en rien mouillée, et pourtant ils ne demandaient rien à boire ; par mon âme, je vois bien que je leur portais trop d’eau. »
Regardez donc ce que c’est, depuis ce moment ses cochons ont toujours engraissé vite. Cette femme avait beaucoup d’esprit ; et elle a reconnu d’un autre côté que plus on donne aux bêtes, quelle que soit la nation, des légumes, des pommes de terre, des raves cuites, plus vite ils engraissent.
Voilà pourquoi ceux qui ne leur donnent rien que des marchandises crues et beaucoup d’eau font tout le contraire.

Vetia ce que t-arrevô à on mansu : on a beto d’on chlian tra cayons nerris rin qu’avoué de catrouchlies et de fôves couétes ; l-in égminto dins tras mas de tra vingt kilios.
Tras autrous cayons qu’int ayò la méma marchiendi creva n’int pra que la métia de chiò pâ. Guétio va s’é y-en vô la pin-na.
Voilà ce qui est arrivé à un monsieur : on a mis d’un côté trois cochons nourris rien qu’avec des pommes de terre et des fèves cuites ; ils ont grossi en trois mois de soixante kilos.
Trois autres cochons qui ont eu la même marchandise crue n’ont pris que la moitié de ce poids. Voyez donc s’il en vaut la peine.

Autre seuza :
La peupreto fa la sinto, ze vous ai zia de cin on cò ; y-e t-asse va pre le béties que pre lou mondou. Lavoz donc veutrés cayons sovint, lavoz ari lez assouts tui leu tra zours ; i minzont mé, i sint greu aizous dra quemin vous autrous quind vous vous êtes rinchia la dioumin-na.
Ze sais prò que pre cintie vous ne veli pô m’aquetô ; y-e troup va, men arma, que la crassa ne peut pô seutre de vé vous ; mais quimbin vous n’y veli pô fôre, z’ai hazardé lou cô, prequa ma z’eu fais.
Autre chose :
La propreté fait la santé, je vous ai déjà dit cela une fois ; c’est aussi vrai pour les bêtes que pour les gens. Lavez donc vos cochons souvent, lavez aussi les porcheries tous les trois jours ; ils mangent davantage, ils sont très heureux, tout comme vous quand vous vous êtes rincés le dimanche.
Je sais bien qu’en cela vous ne voulez pas m’écouter ; il est trop vrai, par mon âme, que la crasse ne peut pas sortir de chez vous ; mais même si vous ne voulez pas le faire, j’ai hasardé le coup, parce que moi je le fais.

A. Sirand (Patois du canton de Châtillon).
Sous le Second Empire, l’Almanach bressan était diffusé à dix mille exemplaires.

LE REPAS DE COCHON

Comment se déroulait le repas de cochon à la campagne ? Laissons la plume à Denis Bressan, alias Benoît Berthilier (Bâgé-la-Ville 1865 - Limoges 1946), nous l’écrire :

« Aujourd’hui, la viande figure sur la table du paysan beaucoup plus souvent qu’autrefois. Bien des villages possèdent un boucher qui va, en outre, vendre dans les communes voisines une ou deux fois par semaine.
Néanmoins, on continue à tuer un cochon dans presque chaque ferme, même deux dans les plus importantes. D’habitude, on ne choisit pas le plus gros et le plus gras, mais de préférence, le mal venu. Le paysan dit : celui-là, je veux en faire mon lard.
C’est ordinairement en décembre, surtout avant Noël, qu’on tue le monsieur ou habillé de soie.
On demande pour cela le saigno de cayon (saigneur de cochon), ordinairement maladroit et mal outillé, mais qui, malgré cela, ne se départit pas une minute de son air important et entendu. Parfois, le cochon est si bien saigné que lorsque on le bucle [3], le feu le ramène à la vie et il se sauve à toutes jambes.
Cette opération était, surtout jadis, un prétexte à rire et à se faire des farces. Que de fois les jeunes gens et les gamins étaient victimes de leur naïveté.
Le jour même, on mange la fricassée du boucher ou fricassée enragée, cuite dans une marmite et composée de gras-double et de morceaux de qualité inférieure, bien préparés au beurre et au vin blanc.
Deux ou trois jours après, le soir ordinairement, a lieu l’enterrement du cochon ou repas de cochon, auquel sont conviés quelques parents et amis. C’est un joyeux et plantureux souper où les convives voient successivement défiler sur la table, avec les boudins traditionnels, tous les morceaux de choix, arrangés le mieux possible : boulettes (confectionnées avec de la viande de porc), côtelettes grillées, filet bouilli ou rôti, rognons, foie et rate fricassés. Dans les bonnes maisons, on sert encore une poularde et d’autres plats, bien entendu.
On finit par les châtaignes et autres desserts. Le tout est arrosé de vin blanc et de vin rouge et assaisonné de bons mots et de propos guillerets.
Quand on tue le cochon, on a l’habitude de donner une fricassée de boudins aux voisins. Ceux-ci, de leur côté, sont tenus de la rendre à la première occasion. »
Courrier de l’Ain du 11 mars 1904.

Alexandre Sirand (1799-1871), l’érudit bressan infatigable
Le porc en Bresse, une (très) longue histoire...

UNE CONFÉRENCE


Les Chroniques de Bresse proposeront une conférence sur le S.T.O. (Service du Travail Obligatoire ; loi du 16 février 1943) le jeudi 9 mars à 18h00 aux Archives départementales de l’Ain. Entrée gratuite.
Plus de 2 500 jeunes hommes de l’Ain ont été concernés par cette loi. Certains sont partis, d’autres ont rejoint les rangs de la Résistance.

UNE EXPOSITION

UNE ASSEMBLÉE GÉNÉRALE

L’association des Chroniques de Bresse a rassemblé ses adhérents au cours de son assemblée générale du vendredi 27 janvier.
Cette réunion marquait son 15e anniversaire.
Quinze ans ! Quinze publications imprimées et, désormais, ce site internet, ouvert en juillet, qui compte plus de 33 600 consultations à ce jour !

La gestion du site n’est guère coûteuse mais ce site, ouvert à tous, sans publicité, est "alimenté" par nos recherches qui nécessitent des déplacements et quelques achats de documents.
Les lecteurs qui souhaiteraient apporter leur contribution peuvent se référer au document joint, à imprimer ou non.
Merci d’avance ! Merci de votre soutien !
Merci de le faire connaître à vos proches ! Plus de 40 "histoires de Bresse", toutes documentées, à découvrir dans nos "Archives" !

[1Littéralement, un médecin de bêtes.

[2Traduction conjecturale.

[3Bucler : flamber, brûler les soies du porc.

Partager cette page

  • Partager par mail
  • Partager sur Facebook
  • Partager sur Twitter