LA GRAND’MARGOT À CEYZÉRIAT, DEPUIS LES ORIGINES

La "Grand’Margot", fête de l’après-vendanges, est la fête la plus emblématique de Ceyzériat et son origine est indéfinie. Nous avons mené l’enquête.

Préambule

La Grand’Margot ! Pourquoi une telle appellation ? Des chroniqueurs ont recherché l’identité de la servante qui aurait donné son nom à cette fête. Certains ont désigné Marguerite Darme, née le 4 mars 1825, fille d’un aubergiste-cultivateur de Ceyzériat, futur maire de Ceyzériat [1]. Mariée en 1848 à un propriétaire de Montfleur (Jura), sa vie apparaît trop "rangée" pour avoir été une Margot, servante d’une auberge où, la fête villageoise se prolongeant, des hommes, épris de vin, se hasardent alors à des gestes inappropriés, selon l’expression d’aujourd’hui.
Le but de la Grand’Margot est bien sûr de distraire et restaurer les gens mais avec l’idée sous-jacente de débiter du vin, voire le plus possible.
Aussi, sans la renier, l’hypothèse "Mélanie Darme" nous paraissait-elle fragile et nous avons donc cherché des preuves dans la presse locale ancienne.

Les vendanges au Moyen-Âge, d’après une illustration de l’époque.

Un bal y est donné...

Dans le monde rural d’autrefois, lors du dimanche qui suit la fin des récoltes les plus marquantes de l’année, et si elles étaient réussies, les paysans s’accordaient un moment de répit et de fête, la « Revole », entre voisins, au hameau ou au village. En Bresse, c’était après la moisson ; en Revermont, après les vendanges.
Ceyzériat et le Revermont ont fêté l’après-vendanges de tout temps. Le Courrier de l’Ain le confirme en notant, le 18 octobre 1823 : « il y a longtemps que les coteaux n’ont pas été aussi riants, la gaîté qu’inspirent ordinairement les vendanges se trouve encore accrue cette année par la beauté du temps et l’abondance de la récolte. Aussi les fêtes se prolongent-elles dans tous les villages ».
Deux ans plus tard, le même Courrier de l’Ain publie la lettre, étonnante et réaliste, d’une lectrice, le 28 septembre 1825 : « La fête qui termine les vendanges à Ceyzériat et que les habitants de Bourg viennent traditionnellement, depuis des siècles, célébrer en notre endroit, a été charmante cette année. Le plaisir y avait réuni une cohue de curieux des deux sexes, telle que nous n’en avions pas vue depuis longtemps. (...) Le nombre des voitures, chars, chariots, charrettes, qui l’avait amenée, était prodigieux. (...)
Toute cette foule s’est, pour la plus grande partie, traitée [restaurée], à ses frais, à l’auberge. De plus, un bal a terminé la soirée. Il a donné lieu à une remarque bien favorable à nos damoiseaux bressans. Leur empressement à souscrire pour ce bal, qu’on leur a proposé comme un impromptu, a dénoté une tendance galante et très louable. Ce bal n’était vraiment pas prémédité ; la salle s’est trouvée prête par hasard ; des musiciens étaient là aussi par hasard. Jugez de notre joie quand nous avons vu plus de cent personnes réunies dans une chambre qui en pouvait contenir trente à peine ; aussi la danse a-t-elle été très animée.
Les habitants de Ceyzériat, et surtout l’aubergiste de l’endroit, se sont fort amusés et, au milieu de la nuit, les danseurs s’en sont retournés, les uns à pied, les autres en voitures.
 »

L’appellation Grand’Margot apparaît...

La fête des vendanges de Ceyzériat est ancienne mais quand devient-elle la Grand’Margot ? L’appellation apparaît, pour la première fois dans le Courrier de l’Ain du 11 octobre 1832 par l’annonce publicitaire d’un restaurateur. Ensuite, pour la retrouver, il faut attendre L’Abeille du Bugey et du Pays de Gex du 26 septembre 1857 [2] et le Journal de l’Ain du 17 septembre 1858.

Ces quelques lignes ouvrent un conte, développé sur deux numéros, écrit par Auguste Arène de Nantua..

Le lendemain, le Courrier de l’Ain écrit que « dans presque tout le Revermont, les vendanges ont dépassé les espérances, à peu près un quart en plus. Aussi les villages ont-ils repris la gaîté et l’animation qui, depuis longtemps, étaient absentes à pareille époque. En plusieurs lieux, à la tombée de la nuit, des bals champêtres s’organisent (...). Tous les soirs, les vendangeurs contemplent la comète, citent 1811 et tirent, pour la bonté des vins, d’heureux présages ». Au paragraphe suivant, le journal précise que « on annonce que la fête de Ceyzériat, dite la "Grand’Margot", n’aura pas lieu dimanche prochain, mais le dimanche 26 septembre [1858] ».
Quelques années plus tard, les deux journaux locaux publient, les 5 et 6 octobre 1866, le même communiqué : « la fête de la "Grand’Margot" est renvoyée au dimanche 14 octobre, parce que l’abondance de la récolte ne permettra pas d’achever, cette semaine, les opérations de la vendange. On annonce, pour ce jour-là, des réjouissances diverses. La société "Harmonie de Bourg" se fera entendre, dit-on ; il y aura un tir à l’oiseau, des courses en sac, etc. ».
L’appellation Grand’Margot apparaît donc sous le Second Empire et au sein du village. Elle est une fête mobile, sans référence à une quelconque Marguerite.

L’arrêté municipal de 1869

La fête se déroule sur les lieux publics et, en conséquence, le maire prend un arrêté pour régler cette occupation. Les archives communales de Ceyzériat conservent celui de l’automne 1869, fort documenté et remarquablement rédigé (par le maire ou le secrétaire de mairie ?).
« Nous, maire de la commune de Ceyzériat, chevalier de la Légion d’honneur
Vu la loi des 16-24 août 1790 et l’article 471, n° 15 du code pénal,
Avons arrêté ce qui suit :
Art. 1er. La fête la Grand’Margot ou revole des vendanges est fixée cette année au dimanche 3 octobre prochain.
Art. 2. La veille de ce jour, tous les habitants sans exception, balaieront ou feront balayer le devant de leurs maisons et enlèveront les dépôts des matériaux, les ordures et immondices qui pourraient s’y trouver.
Art. 3. Les marchands de menue mercerie, de quincaillerie, de bimbeloterie, les teneurs de jeux autorisés, les saltimbanques, bateleurs, chanteurs publics et autres individus de professions analogues ne pourront exercer leur industrie pendant la fête qu’après s’être munis d’une permission du Maire.
Art.4. Les baraques et étalages en plein vent seront dressés dans la partie de la rue de Coligny comprise entre la fontaine des cygnes et la route impériale n° 79, sur la place de la Croix du poulet et le long de la route impériale n° 79, dans la partie comprise entre la place de la Croix du poulet et le chemin de Tréconnas aux endroits et dans les conditions qui seront assignés par le Maire à chaque permissionnaire.
Ceux-ci seront tenus de laisser libre l’entrée des maisons devant lesquelles seront placés leurs baraques ou étalages.
Il ne sera exigé d’eux, à quelque titre que ce soit, ni au profit de la commune ni par les particuliers, aucun droit de place ou de stationnement.
Art. 5. Les voitures et les personnes à cheval traversant le lieu de la fête ne pourront aller qu’au pas.
Tout stationnement de voitures attelées ou non attelées est formellement interdit dans la partie de la rue de Coligny et la route impériale consacrée à la fête et sur la place de la Croix du poulet. Dans les parties du bourg où le stationnement des voitures attelées ou non attelées reste permis, celles-ci seront rangées en files de manière à laisser libres les deux tiers au moins de la voie publique.
Art. 6. Aucun bal, aucune danse publics ne pourront avoir lieu, soit en plein air, soit dans les cafés et cabarets, qu’en vertu d’une autorisation du Maire.
Art. 7. À l’occasion de la fête, l’heure de fermeture des cafés et cabarets est différée jusqu’à minuit.
Art. 8. Les bals ou danses publics et l’exercice des industries spécifiées en l’article 3 du présent arrêté ne pourront se prolonger au-delà de minuit.
Art. 9. En cas de querelle, rixe ou tout autre tumulte, les auteurs du trouble seront arrêtés pour être statué à leur égard ce qu’il appartiendra.
Art.10. Les contraventions au présent arrêté seront constatées par des procès-verbaux et les contrevenants poursuivis par-devant l’autorité compétente.
Fait à Ceyzériat le 24 septembre 1869.
Le Maire, Camille Jayr
 »

Pourquoi la Grand’Margot ?

La Grand’Margot est donc officialisée en mairie mais l’origine de l’appellation n’est pas indiquée. Plusieurs hypothèses sont émises au fil des souvenirs, dès 1866.
« Les anciens disent que, bien avant les fameux principes de 1789, il y avait, à l’entrée de Ceyzériat, sur la route de Bourg, une belle et grande femme qui s’appelait Marguerite et qui tenait cabaret. Dans ce cabaret, on buvait un bon petit vin du cru et l’on y mangeait des grives cuites à point et avec une délicatesse remarquable. Les habitants de Bourg organisaient alors des parties, après les vendanges, pour aller diner chez la grande Marguerite, (...) appelée aussi la "Grand’Margot" ».
Ou est-ce la cuisinière, prénommée Marguerite, de l’astronome Jérôme Lalande ? Celui-ci avait acquis une maison à Ceyzériat où, le dimanche suivant la dernière cuvée, il invitait, « chez lui, beaucoup de monde en leur disant que c’était la fête de la "Grand’Margot" ».
Ces derniers propos sont rapportés par un chroniqueur qui « étant tout jeune, a cherché, en sa qualité d’indigène, l’origine du nom de "Grand’Margot". Les vieillards et son aïeul, qui étaient voisins de Jérôme Lalande, lui en ont donné la définition [3] ».

Le vignoble du hameau de Mont-July, situé à mi-pente, produisait un excellent vin blanc.,

Le phylloxéra

Les années 1865-1875 sont une période faste pour le vignoble revermontois mais, déjà, des plants dépérissent sous l’action d’un insecte sournois, le phylloxéra. Il a été malencontreusement introduit en France en 1864 et, dans le département de l’Ain, en 1872 dans le Bas-Bugey, où il n’a été détecté qu’en 1876. Comme ailleurs, les vignes dépérissent par les racines et les divers traitements restent inefficaces. L’invasion se transforme en calamité et la production française de vin est réduite des deux tiers. Dans l’Ain, une commission préfectorale "phylloxéra" est créée en novembre 1876 et une sous-commission à Coligny en avril 1879.
Au fil des essais de traitements, la solution paraît être l’utilisation de plants américains, résistants à l’insecte, alors même qu’ils l’ont introduit en France. Les cépages locaux peuvent être maintenus par des greffages sur ces plants américains. Des cours de greffage sont organisés dans de nombreux villages.
Pour la production du vin, les premiers résultats sont décevants et, dans le Revermont, on envisage alors de produire du cidre, par la plantation de pommiers sur les coteaux. Certains suggèrent de persévérer et l’espoir renaît au début des années 1890. Le Bugiste, professeur d’histoire et de géographie, Joseph Corcelle (1858-1921), encourage : « les plants greffés ont fait leurs preuves. Ils fournissent d’abondantes vendanges. Avec une fumure suffisante, des labourages fréquents, ils donnent toujours une récolte excellente. C’est le moment d’aller vite et de rattraper le temps perdu [4] ».
Le vignoble est sauvé et reconstitué, la Grand’Margot reprend de la vigueur.

Après le désastre du phylloxéra, le vignoble a été reconstitué. Carte expédiée en 1906.

Vin du Mont-July, brioches et grives

Les vendanges de l’année 1894 ne sont pas abondantes mais la récolte est de qualité. Pour la traditionnelle Grand’Margot, le Courrier de l’Ain annonce que « la ville prendra ses parures des jours de fête pour recevoir dignement les habitants des communes voisines. Ceux de Bourg ne manqueront pas d’aller, comme de coutume, goûter les grives du Revermont et tremper, dans un verre de vin nouveau du Mont-July, une de ces délicieuses brioches dont Ceyzériat garde le monopole [5] ».
Les grives sont une composante importante de la fête. En 1858, le Journal de l’Ain écrivait même que la Grand’Margot « n’a lieu que lorsqu’il y a des grives [6] ». L’arrivée des grives, qui effectuent leur migration, annonce d’ailleurs le mûrissement des raisins et on les chasse avec des filets, une chasse appelée localement à la pantière.

Les restaurants de Ceyzériat cuisinent des grives pour la "Grand’Margot".


Ces filets font parfois l’objet de convoitise et, en 1889, « tous les propriétaires de filets les avaient placés dans les bois pour la chasse à la grive et leur étonnement a été grand quand, le samedi matin, ils ont constaté que tous les filets avaient disparu [7] ». L’anecdote renseigne l’historien sur les usages locaux !
En cette fin de siècle, la fête bat son plein avec les gens venant de Bourg, des visiteurs surnommés « Bourgnati » mais, tous ensemble, on déguste « les verres emplis de vin, en travail encore, [qui]seront des puits de délices où les lèvres sauront trouver l’ivresse ». À côté de la fête foraine, « les orchestres, dans les salles de bal, convient la jeunesse et l’âge mûr aux saines et rigoleuses réjouissances [8] ».
À aucun moment, les articles de presse n’indiquent une Reine des vendanges ou une Margot identifiée. Alors ?

La grive vue par l’ornithologue Jean-Jacques Audubon (1785-1851).

Margot : un symbole ou une réalité ?

Alors ? Faut-il se fier au journaliste Jean Renoud (1870-1938) qui écrit, en 1897 : « Grand’Margot ! Comme il est évocateur ce nom gaulois ! Et une vivante et suggestive silhouette se dresse sous nos yeux rien qu’à l’entendre prononcer ! Margot ! C’est la bonne fille, bien en chair, vigoureuse et souple, qui n’a nul souci des artifices de la toilette, sachant bien qu’elle n’a qu’à surgir pour se concilier tous les cœurs, enflammer tous les désirs, faire converger vers elle tous les regards. (...)
C’est la muse de nos côteaux du Revermont et du Bugey ; c’est elle qui amène sur les lèvres des francs buveurs, les drôles et sapides gaudrioles, les exclamations du terroir, pittoresques en leur naïveté ; c’est elle qui fait nos vignerons serviables et humains, car la devise de nos pères est vraie toujours, "le bon vin réjouit le cœur de l’homme" [9]
 ».
Alors, Margot ne serait qu’une muse agreste ? Sans doute ! En effet, par exemple, on fête la Grand’Margot le 26 septembre 1897 à Revonnas, le 15 octobre 1899 à Journans ou le 22 octobre 1899 à Tossiat [10]. Le 15 octobre 1903, le Courrier de l’Ain évoque encore « la fête traditionnelle de la "Grand’Margot" par laquelle les vignerons du Revermont ont coutume de célébrer, chaque année, la revole des vendanges ». Mais c’est bien à Ceyzériat que « les Bressans de Bourg viennent, une fois de plus, manger la brioche et se délecter d’une de ces grives exquises que la saison d’octobre ramène sur les coteaux ».

Bressans et Burgiens aiment se rendre à Ceyzériat, surtout pour la "Grand’Margot".

Le traumatisme de la Première Guerre mondiale

La destruction et la reconstitution du vignoble ont mobilisé les vignerons pendant plus de vingt ans. Au drame du phylloxéra s’est ajouté, en parallèle, le mildiou, une maladie cryptogamique qui atteint la vigne lors des épisodes pluvieux ou seulement humides. Dans ce cas, la récolte est moins abondante et le vin, moins goûteux. À ces malheurs s’ajoutent parfois des gelées printanières qui détruisent les bourgeons. Ainsi coulent les années des vignerons, le regard toujours tourné vers le ciel pour espérer deviner le temps à venir.
Au début du XXe siècle, le quotidien des ruraux est déjà plus difficile et les jeunes quittent les campagnes pour rejoindre les villes où de nouveaux emplois apparaissent. Aussi de 1872 à 1901, la commune de Ceyzériat perd-elle 12 % de sa population, passée de 1 068 à 939 habitants. Le déclin se poursuit et, avec 908 habitants recensés en 1911, Ceyzériat s’est dépeuplée de 15 % en 40 ans.
En Europe, les relations diplomatiques internationales se sont déjà tendues et la guerre paraît inéluctable. Le1er août 1914, la "mobilisation générale" est décrétée pour le lendemain, 2 août. Ce jour-là et les suivants, environ 180 hommes de Ceyzériat endossent l’habit militaire. Le conflit, qui ne devait durer que quelques mois, s’éternise au-delà des quatre ans. L’effort de guerre repose sur l’arrière : les hommes et les chevaux ont été retirés, les réquisitions sont permanentes et les transports ferroviaires sont essentiellement au service des armées.
À la signature de l’armistice du 11 novembre 1918, le pays est épuisé et meurtri. Ceyzériat gravera 49 noms sur son monument aux morts en 1921. La commune ne compte plus que 773 habitants.
Durant cette guerre, où les femmes ont été admirables d’abnégation, le vignoble a souffert de l’absence de bras et de pénuries diverses. Il a périclité et, comme dans de nombreuses contrées françaises, l’élan a été brisé et il ne retrouve pas un nouveau souffle.
L'inauguration du monument aux morts.

Où sont nos belles vendanges d’antan ?

La guerre n’est sans doute pas la seule cause de ce déclin. La production et la consommation des alcools se sont modifiées au fil du temps, sous l’influence de la publicité et de diverses actions portées par le courant hygiéniste et social. La Ligue nationale contre l’alcoolisme a été créée dès 1905 et les communes mettent en place des réseaux d’adduction d’eau potable [11] et l’eau disponible n’est plus suspecte, comme celle des puits.
Le Revermont ayant moins d’atouts que d’autres régions viticoles françaises, son vignoble glisse vers la disparition comme le confirme, à l’automne 1930, un lecteur du Courrier de l’Ain de Ceyzériat : « Qu’est devenu notre beau vignoble dont les cépages s’étendaient tout le long du coteau, de Revonnas à Jasseron, couvrant la partie au nord du mont Morillon, toute la montagne de Cuiron, comprenant Mont-July, Vanon, les Soudannières ? Quand venait septembre, l’on voyait pendre ces belles grappes de gamé, de gros-plant, de chetuant, etc, pour faire le vin rouge ; le mèkle ou péloussard, le mordant ou chaslas et le chardonnet [12] pour faire le vin blanc. Puis, les vendangeurs et vendangeuses, par groupes de 20 à 40, sillonnaient et égayaient le coteau par leurs rires et leurs chants, accompagnaient le bruit des chars transportant les bannoires (cuves en bois) archipleines de raisin vermeil. Lorsque la journée était terminée, les joyeux vendangeurs, après un frugal repas, s’éparpillaient dans les chais et dansaient au son de la clarinette ou de l’accordéon qu’accompagnait le clic-tic des pressoirs d’où coulait le vin rosé ou doré si réputé.
Aujourd’hui, les deux tiers du vignoble sont abandonnés. Les bourgeois et gros propriétaires, ne trouvant plus de vignerons ou d’ouvriers, ont délaissé, vendu ou fait arracher leurs vignes qui sont devenues des hermitures [terrains incultes], des friches, des pâturages, des luzernières et bois d’acacias. Les chais se sont transformés en garages d’autos [13]
 ».
Le constat est sévère mais, six ans plus tôt, un chroniqueur écrivait que, « depuis plusieurs années déjà, la fête de la "Grand’Margot" ne suscite plus l’enthousiasme d’autrefois. Mais cependant, elle est loin d’être morte et si le soleil d’automne voulait briller, Ceyzériat serait encore, dimanche prochain, le plus charmant but de promenade que l’on puisse trouver [14] ».
Un parfum de nostalgie souffle, la société a évolué mais la Grand’Margot est néanmoins proposée chaque année, durant deux jours, avec diverses distractions.

Le défilé de la Reine des vendanges.

La reine, une institution d’après-guerre

La Seconde Guerre mondiale met temporairement un voile sur la Grand’Margot. La fête reprend dès 1945 et l’année suivante, pour les 13 et 14 octobre 1946, Ceyzériat invite les Bressans à venir goûter le vin nouveau « car la Grand’Margot sort du cadre banal des fêtes de villages pour entrer dans le domaine plus attrayant des réalisations originales, s’ajoutant à une tradition solidement implantée [pour faire] moisson d’optimisme, de gaîté et de bonne humeur ».
La foule arrive toujours de Bourg et un chroniqueur s’interroge encore sur l’origine de cette fête particulière et si la première Grand’Margot ne serait pas née en « cette année de mévente du vin du siècle dernier, année où les vignerons décidèrent de faire boire aux Bressans leurs excédents de cuvée que la grande Margueritte débitait à pleins pots à l’Hôtel du Balcon. Nul ne le sait plus maintenant mais toujours est-il que la "Grand’Margot" est désormais épinglée au calendrier des fêtes de Ceyzériat dont elle constitue le plus beau fleuron ».
En octobre 1948, elle est célébrée par la fanfare locale qui précède le défilé de quatre chars : « celui de l’ambassadeur du vin, celui des moineaux dans les vignes, celui de la Reine des vendanges et celui des Bressans ». On déguste encore des « "grives sur canapé", spécialité culinaire du cru ».
À partir de 1950, la fête reprend son cycle de deux jours, le dimanche et le lundi, et une grappe de cinquante ballons multicolores est désormais lâchée dans le ciel. Est-ce le prélude à la création de l’Ordre de la grappe d’or, le 27 septembre 1952 ? Les dignitaires en sont Léon Festas, Émile Bouvard, Marcel Émonard et Antoine David. Les premiers diplômes sont remis après que les compagnons ont dégusté « les crus de Mont-July, du Perron, de l’Enfer et du Cul-Brûlé » (des hameaux de Ceyzériat). Le dimanche 5 octobre 1952, l’intronisation de la Reine des vendanges est saluée par la clique, La Vigneronne, de Tossiat, avant de défiler à l’intérieur d’une Torpédo, une voiture automobile. « Le lâcher de la "Grappe des vendanges", symbolisée par un bouquet de ballonnets rouges, précède la fête foraine qui, le soir, a son prolongement par un bal des plus animés ».

La Confrérie de la Grappe d’or.

La fête est bien de retour, chacun est heureux. Si le soleil est au rendez-vous, « tous les records d’affluence sont battus [15] ».
La Grand’Margot est désormais une institution qui perdure en ce XXIe siècle.

Rémi Riche

Avec la participation de Claude Brichon, Martine Cividin, Jacqueline Cordier, François Dufour, Gyliane Millet, Mario Mollard et Fanny Venuti.
Archives départementales de l’Ain.
Médiathèque É. & R. Vailland de Bourg-en-Bresse.

En complément, lire aussi, sur ce site :
CEYZÉRIAT, LE MONT-JULY ET LE RELAIS DE TÉLÉVISION

[1Histoire des communes de l’Ain. La Bresse et le Revermont. Éditions Horvath. 1984.

[2Informations transmises par François Dufour, de Ceyzériat.

[3Journal de l’Ain du 17 octobre 1866 et du 5 octobre 1883.

[4Courrier de l’Ain du 5 octobre 1897.

[5Courrier de l’Ain du 5 octobre 1894.

[6Édition du 17 septembre 1858.

[7Journal de l’Ain du 16 octobre 1889. Les victimes sont des notables de Bourg.

[8Courrier de l’Ain des 17 et 30 septembre 1897.

[9Courrier de l’Ain du 6 octobre 1897.

[10D’après le Courrier de l’Ain.

[11Celui de Ceyzériat est réalisé en 1934

[12Cépages utilisés dans le Revermont, avec l’orthographe de l’article.

[13Courrier de l’Ain du 1er octobre 1930.

[14Courrier de l’Ain du 8 octobre 1924.

[15La République nouvelle des 13 octobre 1946, 8 octobre 1948, 9 octobre 1950 et 6 octobre 1952.

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